Pierre Bretagnon est décédé le 17 novembre 2002 à l'age de 59 ans, à la suite de longues et pénibles suites d'une grave opération. Il était correspondant du Bureau des Longitudes et chercheur à l'IMCCE.
Pierre Bretagnon a été le dernier chercheur qui soit arrivé au Service des calculs et de Mécanique Céleste du Bureau des Longitudes avant que je ne parte pour le midi. J'ai ainsi pu suivre sa carrière scientifique du début jusqu'à la fin. Ce sont les faits saillants de cette carrière que je veux vous retracer rapidement.
J'ai gardé les rapports écrits à son sujet à l'occasion de sa soutenance de la thèse de spécialité, puis de sa thèse d'Etat. Il s'était attaqué à un problème particulièrement difficile : représenter le mouvement des planètes à l'aide d'expressions entièrement analytiques composés de termes périodiques, pour des périodes s'échelonnant entre quelques semaines et de dizaines d'années et des coefficients contenant le temps. Il a été véritablement un des tout premiers à s'attaquer à ce problème simultanément pour l'ensemble des planètes du Système Solaire, et le premier à avoir réussi, même s'il a dû s'y prendre de manière un peu différente pour les planètes telluriques et les grosses planètes.
Déjà, dans les rapports des examinateurs de thèse, les éloges fleurissaient. Je vais en citer un, ou plutôt le traduire, puisqu'il émane de Ray Duncombe qui est américain : "Je considère ceci (la thèse) comme un travail montrant une très grande compétence et qui a une grande signification pour les programmes des Bureaux nationaux des éphémérides."
En dehors des difficultés théoriques que Pierre a dû résoudre, il a programmé, puis effectué, un nombre colossal de manipulations d'expressions analytiques. Ce qui est maintenant usuel était, à l'époque, un défi majeur qu'il a su relever et accomplir la tâche qui s'était fixée et que Ray Duncombe sous-entend: ses éphémérides. En effet, sous le titre de VSOP-82, que les résultats de Pierre Bretagnon entraient dans la Connaissance de Temps pour remplacer celle de Le Verrier: qui avaient duré presque cent ans!
Il est intéressant de noter que ce sont les expressions de Bretagnon qui ont été utilisées par André Berger vers 1975 pour remettre à l'honneur la théorie astronomique de Milankovitch relative à la variation des climats. Ces expressions ont aussi été utilisées dans la réduction des données du satellite européen Hipparcos. Ces derniers temps, il s'est impliqué dans les études préliminaires relatives au successeur d'Hipparcos : GAIA.
Ce travail et ceux qui allaient suivre mettent en relief ses qualités particulièrement bien adaptées aux recherches en Mécanique céleste : persévérance, soin extrême. Curiosité. À cela s'ajoute une connaissance parfaite du domaine.
Mais la théorie de la gravitation de Newton est insuffisante, et il fallait faire les calculs dans le cadre de la théorie de la Relativité Générale. Cela a été son objectif, objectif atteint, et il est devenu un des spécialistes mondiaux de la Mécanique Céleste relativiste pour des champs faibles. Il a beaucoup collaboré dans ce domaine avec Victor Brumberg, autre correspondant du Bureau des Longitudes, chercheur éminent de Saint-Petersbourg.
Pierre Bretagnon s'est aussi beaucoup intéressé aux autres mouvements de la Terre. Il a donné, avec Jean Chapront les expressions pour la précession. Mais, surtout, il est l'auteur, avec P. Rocher et J.-L. Simon, d'une remarquable théorie de la rotation de la Terre solide qu'il était en train d'améliorer en y introduisant les effets de non-rigidité. Ce travail, qui donne les termes aussi petits que quelques millionièmes de seconde de degré, avait été très remarqué et est constamment cité dans les milieux des spécialistes de la rotation de la Terre.
Il n'est pas exagéré de dire, que Pierre Bretagnon aura été un des chercheurs les plus brillants de sa génération dans le difficile domaine de la Mécanique Céleste appliquée aux mouvements des corps du système solaire. Dans la droite ligne de la tradition française, perpétuée au Bureau des Longitudes et maintenant à l'IMCCE, Pierre Bretagnon aura été un des meilleurs successeurs de Laplace, de Delaunay et de Le Verrier. Tous ses collègues français ou étrangers qui l'ont connu ne pourront que confirmer que sa disparition prématurée laisse un grand vide qu'il sera très difficile à combler.
Jean Kovalevsky